Marcolini/Nespresso : les dessous du deal à 20 millions d'euros

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18 mois après son mariage avec Nestlé, Marcolini écoule ses chocolats «premium» dans les boutiques Nespresso. Objectif ? Conquérir la moitié des 7 millions de clients du géant du café. Trends-Tendances revient sur les dessous d'un deal au 630 millions de chiffre d'affaires potentiel.

En août 2007, le groupe Campbell met sa filiale chocolatière Godiva en vente. Nestlé, en pleine réflexion dans le domaine du chocolat superpremium, est en quête d'une respectabilité dans ce secteur et s'intéresse au chocolatier d'origine belge. Seulement voilà, cette pépite qui réalise des ventes annuelles de l'ordre de 500 millions de dollars suscite les convoitises. Rapidement, l'entreprise turque Yildiz Holding, qui propose une transaction à 850 millions de dollars, soit près de 15 fois l'excédent brut d'exploitation, laisse les autres prétendants hors jeu. Pour Nestlé, la déception est vite oubliée car un deuxième dossier orne la table de Petraea Heynike, la directrice générale : les Chocolats de l'Iris, la structure qui abrite les activités de Pierre Marcolini. Il faut dire que son propriétaire présente bien, possède une certaine aura dans le monde du chocolat «haute couture» et, surtout, il possède des recettes qui pourraient valoir de l'or dans une distribution de masse.

La prise de contact, en automne, tombe à pic. Car Pierre Marcolini cherche à s'émanciper de ses actionnaires de la première heure afin de pérenniser ses capacités de production et d'étendre ses comptoirs à l'internationale. Problème : le chocolatier bruxellois est sans le sou et la rentabilité de son entreprise est toute relative (un chiffre d'affaires à plus de 8 millions d'euros pour une perte de 600.000 euros, lors de l'exercice arrêté au 30 juin 2008).

Echange crédibilité chocolatière contre 15 à 20 millions d'euros

C'est alors qu'en toute discrétion, les deux parties délimitent les futurs contours du deal . Comme à son habitude, le communiqué venu de Vevey qui officialise le partenariat restera évasif pour ce qui concerne les termes financiers. En dépit de la discrétion toute helvétique du géant veveysan, il nous revient cependant de bonnes sources que Nestlé a investi un montant se situant «entre 15 et 20 millions d'euros». On comprend mieux pourquoi après la signature, le chocolatier répétait à l'envi que «le financement n'était plus à l'ordre du jour.»

Avec cette somme, il rachète coup sur coup les parts des partenaires associés au capital : les 20 % de la Société régionale d'investissement de Bruxelles (SRIB), les 23,5 % de Jean-Marie Delwart et les 3,4 % de La Floridienne. Notons qu'au regard du rachat des actions de la SRIB, près de 2 millions d'euros pour un cinquième du capital, le ticket d'entrée payé par le groupe helvétique équivaut donc à deux fois la valeur totale de la boîte !

De quoi permettre à Pierre Marcolini d'être le seul maître à bord de son entreprise ? Non, car si le chocolatier bruxellois assurait à l'époque qu'il n'était pas question de prise de participation du n°1 mondial de l'industrie agroalimentaire dans son capital, il n'en est rien. «C'est un deal capitalistique», confesse Richard Girardot, CEO de Nespresso. De fait, Nestlé détient près de 4,5 % du capital des Chocolats de l'Iris tout en possédant un siège d'administrateur au conseil ainsi que le droit de désigner deux personnes chargées d'assister aux réunions.

Si ces parts apparaissent anecdotiques, elles offrent cependant à Nestlé un risque financier limité en cas de malheur aux activités de Pierre Marcolini, un droit de regard sur les recettes du chocolatier et un contrôle quant A l'utilisation du cash par l'artisan-chocolatier. Car avec une bonne dizaine de millions d'euros, la conquête de Pierre Marcolini sur des nouveaux marchés via l'expansion des boutiques en nom propre ne se fera pas sans l'aval de Nestlé. Notons qu'à l'heure actuelle, l'internationalisation des magasins Pierre Marcolini s'est limitée à une nouvelle boutique à Paris - la deuxième dans la Ville Lumière -, et un shop au sein du terminal Eurostar à Bruxelles-Midi.

Directeur de création à plein temps

Le deal ne consiste pas uniquement en une injection de cash dans le capital. Car outre le refinancement des Chocolats de l'Iris, la multinationale doit l'épauler dans ses achats (Marcolini écoule 250 tonnes de chocolat par an). «Vous savez, Nestlé consomme à lui seul la moitié de la production mondiale de cacaos fins, confie Richard Girardot. Il est donc évident que le groupe permettra à Pierre Marcolini de s'approvisionner à meilleur compte.» Un discours qui ne risque pas de plaire au chocolatier belge qui se vantait jusqu'alors de ne s'approvisionner que chez les meilleurs producteurs sans se soucier du prix. En contrepartie, le chocolatier bruxellois s'adonne aux demandes de nouveaux chocolats pour le groupe veveysan. «Son rôle dépasse celui d'un consultant, c'est un directeur de création qui est intégré dans le groupe», reconnaît Richard Giradot. L'optique est que Pierre Marcolini soit au chocolat premium de Nespresso ce que Marc Jacobs est pour l'ensemble des collections de Louis Vuitton. Une idée séduisante aux retombées médiatiques potentiellement positives pour le chocolatier belge et par ricochet pour le n°1 de l'agroalimentaire. D'autant que Marcolini devrait se pencher sur la gamme des autres grandes marques chocolatées de Nestlé comme Cailler, Perugina, Baci ou Nestlé Noir. «C'est tout à fait imaginable que ces marques haut de gamme profitent à l'avenir du savoir-faire spécifique du chocolatier bruxellois», laisse entendre un porte-parole du groupe. En outre, il lui est demandé
également de produire des séries limitées à l'instar de Nespresso qui en propose deux selon la saison.

Reste à savoir quand et comment Pierre Marcolini s'affranchira du groupe Nestlé
à terme. Du moins s'il le souhaite. Pour rembourser l'emprunt, qui court sur une longue période, contracté auprès de son partenaire, Pierre Marcolini aura toujours le loisir de choisir entre une entrée en Bourse ou un placement privé. Mais pour d'aucuns, une des inquiétudes qui planent sur les Chocolats de l'Iris concerne l'espionnage industriel. Nestlé aura-t-il d'ici là phagocyté Pierre Marcolini et plagié ses recettes ? L'avenir nous le dira.

Valéry Halloy
26/06/2009 10:00


Retrouvez dans le Trends-Tendances de cette semaine, un dossier complet sur la façon dont Marcolini doit devenir la nouvelle machine à cash de Nespresso.

Source : http://www.trends.be/fr/economie/entreprises/12-1634-48327/marcolini-nespresso---les-dessous-du-deal-a-20-millions-d-euros.html