A Godiléhiri, l'amertume des paysans ivoiriens du cacao face aux affaires

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GODILEHIRI (AFP) — Soupçons de détournements de fonds massifs, prélèvements obscurs et prix d'achat à la baisse: à Godiléhiri (sud-ouest), les paysans ivoiriens du cacao sont amers, et impuissants, face aux scandales qui secouent leur filière.
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Il y a 1 jour
GODILEHIRI (AFP) — Soupçons de détournements de fonds massifs, prélèvements obscurs et prix d'achat à la baisse: à Godiléhiri (sud-ouest), les paysans ivoiriens du cacao sont amers, et impuissants, face aux scandales qui secouent leur filière.
Assis au bord d'un champ de cacao, entre un monticule de cabosses et un arbre fromager, le sexagénaire Innocent Dago et ses huit compagnons ne cachent pas leur colère face à cette cascade de scandales présumés.
"Le planteur ivoirien est mal vu depuis des décennies. Aujourd'hui, les Européens pensent que nous vivons dans le luxe alors que ce n'est pas le cas", lâche Dago, une machette dans une main, une cabosse de cacao dans l'autre.
"Les Tapé Doh, les Amouzou et autres (qui dirigent les deux principales structures de gestion du café-cacao, accusées de détournements massifs, ndlr), nous ne les connaissons pas. Nous doutons même qu'ils aient été producteurs de cacao une seule fois dans leur vie", assène-t-il sous les regards approbateurs.
A ces dirigeants, le vieux Dago, reproche leur train de vie à Abidjan, entre "maîtresses, véhicules et résidences de luxe" tandis que "nous sommes malheureux ici".
"Quand l'acheteur arrive, il fixe son prix sans tenir compte de celui de la BCC (Bourse du café-cacao, dirigée par Lucien Tapé Doh) avec souvent une marge de 100 à 150 FCFA (0,15 à 0,22 euro)" au détriment du paysan, note-t-il encore.
Lui est dans son champ, le torse nu offert aux fourmis. "On est habitué à elles", dit-il en les enlevant une à une, sans perdre le fil de son réquisitoire contre ces dirigeants et le prix d'achat "très bas" qu'il fixent.
"Qu'est-ce qu'on peut faire avec 500 FCFA (0,76 euro) le kilo?", s'interroge-t-il à propos du dernier prix d'achat "bord champ" évoqué par les autorités. "Si on ne veut pas acheter notre cacao, qu'on nous le dise", s'emporte-t-il, en réclamant un prix d'achat deux fois supérieur.
Et de comparer sa situation avec celle de ses collègues producteurs du Ghana voisin, deuxième producteur mondial de cacao derrière la Côte d'Ivoire: "Ils sont bien payés. Pourquoi est-ce que chez nous le gouvernement nous oublie ?".
Son collègue Jurus Kouassi, 28 ans, trouve lui "illogique que l'Etat veuille acheter une usine de transformation de cacao aux Etats-unis", en référence à l'affaire Fulton, où l'un des structures de gestion du cacao ivoirien est accusée d'avoir détourné 100 milliards de FCFA (152 millions d'euros).
"Pourquoi ne pas construire l'usine ici? Cela aurait pu réduire le taux de chômage", interroge le jeune homme, disant ne recueillir, avec ses collègues, que 200.000 CFA (304 euros) par an pour leur production de cinq tonnes. "Avec les charges que nous avons, dit-il, nous ne pouvons que survivre".
"Les Tapé Doh ne connaissent même pas le goût de la fève et c'est à eux que (le président Laurent) Gbagbo confie la filière", s'indigne Roger Gozé, 30 ans.
Face à ces maudits dirigeants -- qui "seront malheureux au ciel s'ils continuent de bouffer notre argent", selon Dago -- "c'est Dieu qui nous sauve et nous permet de tenir", dit Rémy Okobé, 25 ans.
Mais les planteurs de Godilehiri n'iront pas plus loin que le verbe, faute d'un esprit de solidarité au sein de la filière. "Personne ne suivra si tu veux faire une grève", regrette Roger.
Et si la situation ne s'améliore pas, "on sera obligé de se tourner vers la culture, très rentable, de l'hévéa ou du palmier", conclut Jurus, dépité, en scrutant les grappes de cabosses jaunes accrochées à un cacaoyer couvert de fourmis rouges.