Problèmes posés par la recherche et le dosage des matières grasses végétales (MGV) dans le chocolat

Par Henri CHAVERON - Professeur honoraire des Universités, Expert Judiciaire près la Cour d'Appel de Paris (siège numéro 15 de l'Académie).


Introduction

Dès leur entrée dans le marché commun, les chocolatiers britanniques, danois et irlandais, qui employaient depuis longtemps diverses matières grasses végétales (MGV), ont souhaité que cette pratique s'étende à l'ensemble de la communauté.

Deux conceptions se sont opposées dès le début des discussions sur cette question au niveau de la CEE : l'une « traditionaliste », basée sur le principe de l'authenticité des matières premières, en l'occurrence du beurre de cacao (BC), l'autre « progressiste », reposant sur une argumentation « économico-technologique ».

Pour les « traditionalistes », le BC est la seule matière grasse permettant d'obtenir du chocolat. Son remplacement, même partiel, ne peut que compromettre la qualité de cet aliment.

Cette attitude est jugée peu favorable à « l'évolution technico-économique » par les « progressistes » qui préfèrent se libérer des contraintes résultant des propriétés très marquées du beurre de cacao et produire le chocolat dans les meilleures conditions de rentabilité.

Un quart de siècle de pourparlers, pour ne pas dire d'affrontements de conceptions, s'est terminé, en 2000, par l'adoption d'un compromis. Six MGV (1) d'origine tropicale pourront, dorénavant, être utilisées dans la fabrication du chocolat (2).

Le problème posé à l'analyste est de vérifier dans le chocolat :

– que les quantités de MGV autorisées ne dépassent pas les 5 % fixés comme valeur maximale par la directive (quantification),

– qu'aucune autre MGV n'est présente (détection).

Mais aucune méthode officielle n'est mise à sa disposition.

(1) Graisses de tengkawang et de sal, Beurres de karité et de Kokum, Huiles de Palme et de Mangue.

(2) Le chocolat est fabriqué en utilisant de la masse de cacao (broyat de fèves de cacao torréfiées contenant environ 50 % de beurre de cacao) du sucre et du beurre de cacao (BC). C'est ce BC ajouté qui pourra être remplacé par des MGV

Les MGV pouvant être utilisées en chocolaterie

Elles se répartissent en trois catégories principales :

1. Les MGV dans la composition desquelles entrent principalement les acides stéarique (St), oléique (O) et palmitique (P).

Ces MGV présentent une composition triglycéridique (TG) relativement simple comme celle du beurre de cacao.

Les triglycérides monoinsaturés symétriques POP, POSt, StOSt, principaux glycérides du BC caractérisent ces MGV qui se distinguent entre elles par la teneur globale en triglycérides monoinsaturés et par leur proportion relative en StOSt et POP.

2. Les MGV à teneurs élevées en A.G. insaturés trans proviennent d'huiles durcies par hydrogénation. La composition triglycéridique de ces MGV est d'une très grande complexité du fait de la présence de nombreux isomères de position cis et trans des A.G. insaturés.

3. Les MGV du type laurique (riches en acide laurique) présentent également une composition triglycéridique complexe.

Dans la 1re catégorie, figurent les équivalents du BC (EBC) et les MGV proches de ces équivalents. Toutes ces MGV sont entièrement compatibles avec le BC

Dans les catégories 2 et 3 se trouvent des MGV dont la composition s'éloigne notablement de celle du BC Elles sont plus ou moins incompatibles avec le BC, ce qui en limite l'usage.

Les MGV retenues par la directive entrent dans la catégorie 1.

Détection et évaluation quantitative

Une certaine confusion entre détection et évaluation quantitative a toujours obscurci le débat sur les MGV utilisables en chocolaterie.

La détection a pour objectif de répondre à la question « le chocolat contient-il une MGV non autorisée ? » et secondairement de préciser laquelle.

L'objectif de l'évaluation quantitative (EQ) est de déterminer la quantité (le %) de MGV autorisée, contenue dans un chocolat.

Dans le cadre de la nouvelle directive de l'UE, la recherche de conformité nécessite l'emploi de la détection pour vérifier que le chocolat ne renferme pas de MGV non autorisées (MGV(NA)) et l'emploi de l'évaluation quantitative pour s'assurer que les MGV autorisées (MGV(A)) se trouvent bien dans le chocolat à un taux au plus égal à 5 %.

En ce qui concerne le chocolat « pur beurre de cacao », il continuera à être fabriqué après août 2003, date d'application en France de la nouvelle directive de l'UE, parallèlement au chocolat contenant des MGV(A).

La conformité à son appellation sera déterminée par des méthodes de détection suivant exactement l'approche analytique utilisée, pour s'assurer de la conformité d'un chocolat, avant la nouvelle directive.

Evaluation quantitative des MGV dans le chocolat

L'évaluation quantitative nécessite 2 phases :

– une phase analytique : dosage d'un marqueur (M) ou détermination de la composition triglycéridique (TG).

– une phase déductive : au cours de laquelle, par calcul à partir des informations analytiques, le chimiste tente d'évaluer la quantité de MGV dans le chocolat.

• Utilisation d'un marqueur (M)

– le marqueur peut être endogène, spécifique d'une matière grasse. Les marqueurs endogènes sont rares (3). De plus, ils sont relatifs à une catégorie de MGV (4). Ils servent principalement à la détection.

L'évaluation de la quantité de MGV présente dans le chocolat à partir d'un marqueur endogène nécessite de connaître la teneur de ce marqueur dans la MGV Or, cette teneur ne peut être obtenue précisément que par analyse de la MGV utilisée. Dans la quasi-totalité des cas, le chimiste ne dispose pas de cette MGV Les MGV produites par l'industrie des corps gras n'ont pas des compositions constantes au cours du temps. Elles changent en fonction des matières premières utilisées pour les fabriquer. A cela s'ajoute l'influence des traitements physique et chimique utilisés pour l'obtention des MGV (figure 3). Dans ces conditions, les teneurs en marqueurs endogènes sont aléatoires et de ce fait, empêchent toute tentative d'évaluation quantitative de MGV dans le chocolat, lorsque la composition de celle-ci est inconnue.

– le marqueur peut être ajouté à la MGV. Il est alors qualifié de marqueur exogène.

Dans ce cas, la situation est, contrairement à la précédente, quasiment parfaite puisque la quantité de marqueur dans la MGV est exactement connue.

On détermine le pourcentage de matières grasses végétales (% MGV) dans le chocolat de la façon suivante :

% MGV=% M chocolat)/% M MGV)×100

Des études entreprises par CAOBISCO et le FEDIOL (5) sur l'utilisation de marqueurs exogènes ont permis de mettre au point une méthode de dosage précise de marqueurs triglycériques (6) dans les produits de chocolaterie. Malheureusement, cette méthode, si satisfaisante sur le plan analytique, a été considérée comme pratiquement inapplicable. En effet, comment être assuré que toutes les MGV pouvant être utilisées en chocolaterie, seront marquées et cela non seulement en Europe mais également dans le reste du monde ? De plus, la présence de marqueur peut être considéré comme indésirable (7) dans le chocolat.

• Examen des variations de composition triglycéridique

Toute composition triglycéridique, des matières grasses extraites d'un chocolat, qui ne s'inscrit pas dans les limites de variation généralement admises pour le beurre de cacao (BC) peut faire suspecter la présence de MGV dans ce chocolat.

Les deux phases de l'évaluation quantitative sont représentées ici par :

1. la chromatographie en phase gazeuse (CPG) (8) des TG

2. une méthode de calcul permettant d'exploiter les résultats obtenus par CPG.

Seule cette phase est spécifique de ces méthodes type « méthode CAOBISCO » (9).

Les teneurs en TG 50, 52 et 54 varient peu en fonction des différents types de BC À l'intérieur de ces faibles variations, c'est le C52 qui varie le moins.

La méthode CAOBISCO est basée sur la constatation que la plupart des MGV présente une teneur en C52 plus faible que celle du BC Les variations importantes portent sur le C50 et le C54. Sur un diagramme, les différentes MGV sont représentées par des points de coordonnées C50/C54. La distance de ces points par rapport à la droite tracée pour les BC est utilisée pour l'évaluation quantitative des MGV.

La modification (10) de la composition triglycéridique de la graisse (BC + MGV) extraite du chocolat par rapport à la composition moyenne du beurre de cacao en triglycérides sera d'autant plus importante que la quantité de MGV ajoutée sera plus grande (et) ou que sa composition sera plus éloignée de celle du BC

A l'inverse, plus la composition en TG d'une MGV sera proche de celle du BC, moins la modification triglycéridique sera sensible et plus cette MGV sera difficile à évaluer quantitativement et même, à la limite, à détecter.

Ce qui signifie pratiquement que certaines matières grasses naturelles comme celles de l'illipé de Bornéo ou celles obtenues par voies chimique ou biotechnologique ne pourront pas être quantifiées ni même détectées à la dose d'incorporation de 5 % par rapport au produit fini soit environ 15 % par rapport aux matières grasses totales du chocolat.

(3) Les progrès des techniques analytiques permettent de mettre en évidence de nouveaux marqueurs et par voie de conséquence d'augmenter les possibilités de détection.

(4) Le fait que les rares marqueurs existants ne concernent que des catégories particulières MGV est un « vice rédhibitoire » pour la méthode. Si par exemple en utilisant le marqueur AG trans, on détermine dans le chocolat et dans la graisse hydrogénée utilisée le % de trans, on pourra évaluer avec précision la quantité de graisse hydrogénée ajoutée. Mais si cette graisse a été mélangée avec une MGV avant l'incorporation au chocolat (ce qui se passe fréquemment), l'évaluation ne concernera que la graisse hydrogénée et non pas la MG totale (graisse hydrogénée + autre MGV) additionnée.

(5) CAOBISCO : Association des Industries de la Chocolaterie, Biscuiterie-Biscotterie et Confiserie de l'UEFEDIOL : Fédération Européenne des Fabricants de Matières Grasses.

(6) Les experts ont porté leur choix sur 2 TG synthétiques le triheptanoïde et le trinonanoïde.

(7) Bien que les marqueurs soient de même nature (TG) que les MGV qu'ils ont pour rôle de quantifier et qu'ils soient obtenus par des procédés qui peuvent être utilisés pour la fabrication des MGV. De plus, les quantités utilisées sont très faibles. Enfin, les marqueurs exogènes ont été utilisés à plusieurs reprises dans d'autres domaines alimentaires.

(8) Les conditions adoptées pour la CPG sont telles que les triglycérides sont séparées en fonction du nombre d'atomes de carbone (N.C.). Le pourcentage de chacun des triglycérides C50, C52, C54 est calculé par rapport à la ΣC50 + C52 + C54.

(9) La méthode CAOBISCO est décrite dans l'article : Influence des matières grasses polyinsaturées sur la détection et le dosage des MGV dans le chocolat. H. CHAVERON, C. VERDOIA, M. MEILI Ann Fals.Exp. Chim., 1984, 883, 571.

(10) Cette modification peut avoir d'autres origines que l'addition de MGV. Des matières grasses provenant de matières comestibles ajoutées au chocolat peuvent modifier la composition des TG des MG. totales. En particulier, en présence d'huile d'amandes ou de noisettes, il sera nécessaire de tracer un nouveau diagramme C50 C54 à partir des TG monoinsaturés symétriques séparés de la MG extraite des chocolats par la technique mise au point par H. CHAVERON et COLL. (voir note 9).

Détection des MGV

La détection ne comprend qu'une phase, à savoir la phase analytique. Elle n'est donc fonction que de la qualité de la méthode utilisée en particulier de sa sensibilité. Mettre en évidence dans le chocolat le marqueur endogène d'une MGV (11) est la preuve de la présence de cette graisse dans le chocolat.

La détection des MGV(NA) exige une connaissance approfondie de leur composition. Ceci afin de trouver chez elles des caractéristiques qui les différencient des MGV(A) et du BC. Avant l'adoption de la liste restreinte par le Parlement européen, il avait été proposé une liste de 28 MGV d'origine tropicale. Liste qui elle-même ne représente qu'une partie de l'ensemble des MGV utilisables en chocolaterie. Les connaissances limitées, dont on dispose actuellement sur ces graisses, permettent toutefois de prédire qu'un nombre très faible d'entre elles, du fait de la rareté des marqueurs endogènes, pourra être détecté dans la phase lipidique complexe d'un chocolat. Ce qui signifie que dans certains cas (relativement rares), il sera possible de conclure à la non-conformité d'un chocolat mais jamais à sa conformité.

Dans le cadre de la nouvelle directive de l'UE, la mise en évidence dans un chocolat d'une MGV interdite, suffit pour conclure à sa non-conformité (comme dans le cas de la précédente réglementation).

Le problème de la détection des MGV interdites est généralement minimisé si non occulté alors qu'il est, sur le plan de la conformité, aussi important que celui de l'évaluation quantitative des MGV(A) autorisées.

(11) Par exemple, la mise en évidence d'acide élaïdique dans le chocolat amène à suspecter la présence d'une graisse hydrogénée.

Travaux effectués au niveau de l'UE

Les travaux des experts de CAOBISCO ont permis de mettre au point ou de sélectionner, après une étude exhaustive de toutes les possibilités, des méthodes à la fois pour la détermination des caractéristiques des « MGV » et pour l'évaluation quantitative de ces MGV dans le chocolat (publication interne en 1982 de la méthode CAOBISCO).

Depuis, des progrès ont été réalisés dans le domaine de l'analyse qui n'ont profité, très modestement d'ailleurs, qu'à la détection puisque, les possibilités de l'évaluation quantitative sont peu influencées par la qualité des méthodes analytiques. Ce qui explique que malgré l'évolution de celles-ci, la détermination du pourcentage de MGV dans le chocolat n'ait pas évolué depuis les travaux des experts de CAOBISCO.

Dans le même temps, d'importants progrès ont été faits dans le domaine de l'obtention des MGV, certes par voie chimique, mais également par voie biotechnologique. Ce qui a pour conséquence une augmentation potentielle du nombre de MGV proches du BC, donc non dosables et économiquement intéressantes.

Une étude en collaboration pilotée par le JRC (12) d'Ispra (Italie) a été entreprise entre 1997 et 1999 avec l'aide de 11 participants européens.

La majorité des techniques testées concernaient la détection, notamment celle des matières grasses raffinées et hydrogénées.

Sur la base de variations de composition triglycéridique, des essais ont été faits en utilisant l'H.P.L.C. et H.R.G.C (13). D'après leurs auteurs, l'utilisation de ces techniques analytiques performantes n'améliore pas l'évaluation quantitative des MGV obtenue par l'analyse des TG en fonction du NC.

(12) JRC (Joint research Centre) de la Commission Européenne en 1997.

(13) HPLC : Chromatographie Liquide Haute Performance

HRGC : Chromatographie en Phase Gazeuse Haute résolution

Conclusion

Pour le contrôle des MGV dans le chocolat, un certain « flou artistique » a été « savamment » entretenu, dans les négociations, entre détection et évaluation quantitative. Ces deux notions aux finalités différentes doivent pourtant être bien distinguées.

Il ne peut exister de solution analytique globale satisfaisante au problème de la détection des MGV(NA) non autorisées dans le chocolat. En effet, il n'est pas possible de trouver une caractéristique commune (molécule spécifique, composition triglycéridique) à l'ensemble des MGV non autorisées, qui puisse les distinguer du beurre de cacao et des MGV autorisées. Le problème de la détection ne peut être abordé que cas par cas. De nombreuses graisses d'origines tropicales, et proches du BC et des MGV autorisées, ne pourront pas être mises en évidence dans le chocolat.

Quant au dosage des MGV (détermination du pourcentage dans le chocolat), il va de l'estimation acceptable (fraction de palme) à l'impossibilité d'évaluer (graisse d'illipé de Bornéo, E.BC hémisynthétiques).

Ce qui revient à dire que quelques fraudes grossières ou maladroites pourront éventuellement être mises en évidence alors que les autres, plus élaborées, échapperont à la vérification de la conformité.

Ainsi donc, aucune méthode (ou faisceau de méthode) ne peut être proposée, en toute honnêteté scientifique, comme moyen de vérifier la bonne application de la nouvelle « directive chocolat ». Malgré cela, les deux dernières décennies de recherche sur la détection et l'évaluation quantitative des MGV ont été jalonnées d'annonces de mises au point de méthodes fiables dans ce domaine. Aucune d'entre elles n'a encore vu le jour.


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